samedi 7 juin 2008

Les unités d'échange, comment les introduire dans le réseau

Texte de Daniel Fargeas, initialement publié en 2002 sous le titre "Comment dynamiser les SELs et le J.E.U."


L’ Unité d’échange, un ticket de consommation universel pour un bien ou un service et pour une valeur déterminée. Un ticket de bus, par exemple, donne le droit de consommer du bus pendant une heure . Le ticket de bus n’a de valeur que si les bus roulent. Si les bus sont en grève, ou délabrés ou trop rares, ou les rues trop encombrées, il faut tout de même aller à pied et les tickets ne valent plus rien. L’unité, comme le ticket, n’a de valeur que s’il y a une richesse en face. Le ticket de bus donne l'usage d’une heure de bus et l’unité d'un réseau d'échange comme le J.E.U. donne l'usage d’une minute d’attention. Ca ne les empêche pas de perdre toute utilité et toute valeur si la richesse n’est pas au rendez-vous. Il y a donc une valeur affichée et une valeur réelle et fluctuante.
Faisons un zoom arrière, considérons le réseau dans son ensemble, vue d’avion. L’unité est l’ombre de la richesse. La monnaie nait d'un mécanisme de notre esprit. C'est une représentation symbolique.
Tout se passe comme si la somme des unités représentait la somme des richesses disponibles. En effet, l’unité perd sa valeur et les prix augmentent quand le nombre d’unité augmente face à une richesse qui stagne.
C'est ce qui se passe en ce moment: certaines valeurs boursières dégringolent, un climat de défiance s'installe. Des capitaux se réfugient sur d'autres marchés, d'autres secteurs de richesses comme le foncier, l'immobilier ou les denrées alimentaires. Ces richesses n'étant pas extensibles, les prix montent.
C'est ce qui se passe quand la richesse diminue face à une quantité d’unité stable. En temps de guerre, par exemple, la production diminue et la quantité de monnaie est la même qu'en temps de paix si les gouvernements n'ont pas la "bonne idée" de faire voter des crédits supplémentaires pour soutenir l'effort de guerre.....
Pour garder une valeur stable à cette unité de valeur, il faudrait gérer les unités en rapport avec la création des richesses. Nous devrons nous interroger sur la naissance et la mort des unités et des richesses.
Quand nous recevons des unités (on dit aussi un crédit), nous recevons un droit de consommer. Mais la valeur de ce crédit ne peut venir que d'une richesse apportée au réseau. Le ticket de bus tire sa valeur des bus en état de circuler. Une promesse n'apporte pas une caution suffisante, ce n'est qu'une richesse imaginaire, virtuelle (puisque ce mot est à la mode). Une unité de crédit ne tire sa valeur que de la richesse réellement injectée dans la communauté. Ce n'est pas une formule abstraite. C'est ainsi que ça se passe. Quand nous créons un crédit, il faut produire et injecter une richesse en même temps dans ce réseau.

Unités d’échange: comment les introduire dans le réseau, quelles modes
d’attribution ?

Quand les SELs de France , quand les partenaires du J.E.U. vont-il comprendre qu’il faut faire monter en même temps le niveau des unités avec le niveau de richesse? Voici quelques propositions adoptées dans des réseaux d'échange étrangers.

a) Une gratification individuelle appropriée: comme à Ithaca le réseau créé dans la ville du même nom par Paul Glover (http://www.ithacahours.com/french.html), on attribue des unités au partenaire qui s’engage à offrir un service de base essentiel à la vie du réseau. A Ithaca, 80% de la masse monétaire est ainsi injectée dans le réseau. Une liste des services essentiels à la communauté a été établie et l’équivalent de 100 de nos unités-minutes est attribué au nouvel inscrit s’il s’engage à maintenir le service de base qu’il a choisi sur une liste, pendant 8 mois.

b) Attribution d’unités sous forme de bourses offertes aux associations caritatives les plus efficaces au niveau régional. Cela permet de gratifier les nombreux bénévoles qui se sont dépensés sans compter au sein de ces associations pendant des années. A Ithaca, encore, 1/10 ème de la masse monétaire en circulation est attribué à des associations (sur présentation d’un dossier de candidature) C’est aussi une astucieuse façon d’accueillir dans le réseau des entités productives et déjà opérationnelles

c) Attribution d’unités sous forme de programmes de développement conçus avec les administrations en place: La quantité d’unités à distribuer, la quantité de biens à offrir, ou le volume des services demandés en échange sont planifiées en même temps et le tout est offert comme un paquet-cadeau à une université, une communauté urbaine, une caisse d’assurance vieillesse... Ainsi, les réseaux “Banques du Temps" ont été conçus par Edgar Cahn, pour être des outils de régénération du tissu social. Ils initient, par exemple, des programmes d’attribution d’unités à des étudiants qui participent à l’entretien d’un campus. Ces unités leur permettent ensuite de payer une partie de leur scolarité ou de se procurer un ordinateur. C’est une sorte de troc organisé au niveau d’un groupe.
Tous ces modes d’attribution a), b), c) , sont semblables sur un point: les unités sont injectées dans le réseau en même temps que les richesses.
Il n’y a que dans les SELs ou les LETS où l’on fait l’inverse: on injecte des unités (crédit) au moment ou quelqu’un entre en solde négatif, c’est à dire quand il consomme plus qu’il produit.

d) attribution automatique dans une situation de production automatique = Revenu d’existence
L'instauration du revenu d'existence, est un mode d’attribution d’unités proportionnel à la production automatique des machines mais ne convient pas pour un SEL. Ceux-ci ne sont pas encore dans une économie d'abondance. Nous ne disposons pas en effet des moyens de production et des machines qui permettent une production automatique et justifient un revenu automatique. Si l'on veut faire pénétrer l’idée du revenu d’existence, un crédit symbolique d'une unité par personne suffirait très bien à porter le message.

En résumé: injectons des unités dans le réseau, pour des richesses qui y sont apportées.
- par les bénévoles ou par des associations qui travaillent depuis des années sans aucune compensation,
- ou par ceux qui entrent dans le réseau en offrant un service ou un équipement de base qui va servir à construire la communauté. Par service de base, j'entends tout ce qui a rapport avec la vie, l’éducation des enfants, l'habitat, la santé, la sécurité de base, l'alimentation de base.

Ne créons pas d'unité si aucune richesse n'a été créée ou en voie d'être créée. Car c'est cette richesse qui donne une valeur à ces unités.

Et quand une personne handicapée ne peut fournir aucune richesse, que faites-vous?

C''est une question de mon ami Pierre qui travaille dans un CAT (Centre d'Aide par le Travail). C'est la question de la solidarité. On ne laisse pas les blessés de la vie mourir tout seuls dans un coin. On se serre un peu, on partage, tant qu'il y a quelque chose à partager. C'est un raison de plus pour bien gérer notre réseau.


La destruction des unités doit suivre la mort des richesses

Quand des richesses sont consommées (donc détruites) ou usées (un chapiteau pour des rencontres) ou périmées (un bulletin périodique), il parait logique de retirer les unités du circuit. Il faut pour cela demander une contribution en unités pour rembourser et annuler le crédit injecté dans le réseau par l'élaboration de ce produit. Pour qu'un réseau reste stable, il faut qu'à richesses égales, la quantité d'unités reste égale.

Exemple : La gestion en unités SEL d’une rencontre Intersel.
La solution, pour une telle rencontre, consiste à faire un prêt en unités à l’organisateur de la rencontre (c’est un débit, un découvert, mais à très court terme. Inscrivons donc sur une ardoise, à titre de prêt, 40.000 unités (pour donner un ordre de grandeur) au nom du SEL local chargé de l'organisation de cette rencontre. Cette somme permet de régler les achats possibles en unités. La participation en francs destinée à compenser les dépenses en francs incompressibles est perçue en même temps que la participation en unités (250 personnes en moyenne par jour pour 4 jours, et un budget de 40 000 unités, ça donne un droit d'entrée de 40 unités de SEL ou de J.E.U. par personne et par jour). On calcule large de telle sorte que tout le prêt soit remboursé. Le surplus va au SEL local qui l’a bien mérité. Ensuite on passe un coup d’éponge sur l’ardoise. Ca peut faire l’objet d’une petite cérémonie festive. Et tout le monde applaudi.
On peut préférer gérer toute l'opération en francs, et demander aux collaborateurs de travailler à titre bénévole. Ca évite de se pencher sur le problème, mais ça montre qu'on n'est pas encore prêt à remplacer les financiers et les banquiers qui ont pourtant un système beaucoup plus complexe à gérer avec ses amples mouvements de capitaux induits par les fluctuations des valeurs boursières et spéculatives.

Exemple de gestion du bulletin périodique de liaison du réseau SEL 66

Le Réseau SEL 66 offrait, de 1995 à 2000, à ses collaborateurs, une unité par minute de travail accomplie pour le réseau. L'élaboration du bulletin mensuel, par exemple, demandait 200 à 300 unités par mois. Et chaque mois il fallait recommencer, bien sûr... La quantité d'unités augmentait donc régulièrement pour une quantité de richesse stable (un bulletin annule et remplace le suivant) . Le bulletin étant tiré à 300 exemplaires, il eut fallut demander une contribution de 1 unité par exemplaire en plus de la contribution en francs de l'époque pour couvrir les frais de photocopie. Nous n'y avons jamais pensé.

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